vendredi 25 juillet 2008

EXPO Arts visuels : Afrique, 'dix'-moi Afrique… Par Théodora SY (Souce WALF du 24 juillet 2008)

Ils sont dix créateurs et ils aiment l'Afrique. Leur expo d'arts visuels s'intitule L'Afrique en question et la bibliothèque de l'université de Dakar (Bu) sert de cadre à leur réflexion. L'expo a débuté le 15 juillet et se poursuit jusqu'au 30 de ce mois.

Le monde est si grand quand on est enfant… Et chaque parcelle d'univers se transforme en aire de jeu. Au gré d'une fantaisie, l'on succombe à l'ivresse d'un instant et la petite voix intérieure est celle d'un caprice ludique qui fait loi. Mais lorsque la main innocente caresse la crosse d'un fusil, le jeu d'enfant a quelque chose de dangereux. Contraste factuel sous un oxymore aigre-doux : l'enfant–soldat. Une pensée, celle de l'artiste Ousmane Karessy Diédhiou, pour ces milliers de jeunes Africains, bourreaux malgré eux, engagés dans des conflits à mort.

Son œuvre plonge le regard dans ce que la guerre a de plus atroce. Deux enfants s'approprient difficilement et, dans une fausse symétrie, un espace assez restreint : il y en a visiblement un de trop. Dans les mains de l'un, un fusil que, du haut de son jeune âge, il manie déjà avec dextérité. Entre les deux enfants, le fossé est sans doute trop grand. Aussi grand en effet que le corps sans vie d'une femme, victime de l'un et mère de l'autre. Mais les cadavres, il faut savoir les enjamber. Et il y a là quelque chose d'apocalyptique dans la prophétie de Karessy. Comme dans un 'cycle infernal', l'orphelin de guerre s'enfoncera lui aussi dans la nuit du maquis.

Le film de la guerre

Victimes choisies, les femmes, les enfants et les vieillards… Avec Khassim Mbaye, il faut aller un peu plus loin, toucher du doigt les tragiques conséquences de ces conflits armés. Le film de la guerre, ce sont de nombreuses familles déplacées emportant à la hâte quelques bagages ou la douleur des enfants, encore eux…

Mais les enfants d'Afrique ne sont pas toujours soldats ou réfugiés, ils sont aussi mendiants : pour survivre, il leur faut tendre la main. Sur une toile, signée Khassim Mbaye toujours, quelques gamins que représentent des silhouettes effilées s'avancent l'un après l'autre car il leur faut remettre au marabout le gain de chaque jour. A lui, il ne faut ni résister, ni désobéir et qui s'oppose s'expose. Dans un coin du décor, l'un des leurs se fait violenter parce que sa besace est vide. L'artiste raconte aussi, sous forme anecdotique, la petite histoire du tableau : 'Je me suis laissé inspirer par ce qu'il y avait autour de moi et le petit écran a été ma muse. La presse reprenait la douloureuse histoire de Kaolack, un enfant battu à mort par son marabout. Le même jour, l'histoire prenait vie sur une de mes toiles'.

S'impose alors le malheur à l'africaine, lieu commun où naissent d'improbables amitiés et d'hypothétiques rencontres. Compagnons d'infortune, l'enfant-soldat et le petit mendiant rassemblés dans le secret de la confidence à l'heure d'un dialogue mis en scène par l'artiste.

Le malheur, il se lit aussi sous un chapeau de paille, sur le visage décharné d'un homme que ronge la faim. Amadou Bâ l'a façonné de ses mains. Quelques feuilles de banane ou de palmier, de la paille ou des racines, des morceaux de calebasse ou des fragments d'os, cela suffit.

Ils ont faim aussi, les personnages de Daouda Bâ. En termes d'espace et de temps, ils sont plus près de nous car il est question de cherté de la vie. Ici, l'on ouvre grand la bouche - elle est vide -, proteste et récrimine. Les baraques côtoient les immeubles cossus ; les riches, les pauvres. Quelques-uns se plaignent, les plus nombreux. D'autres approuvent, mais ils se comptent sur le bout des doigts. D'autres encore demeurent circonspects.

L'homme, espèce menacée

Mais ici, l'Afrique ne change pas, prisonnière de ses démons intérieurs et querelles intestines. La route est longue du nord au sud, la fracture numérique est passée par là. Le destin de l'Afrique passe par l'éducation, Moussa Traoré en est convaincu. Adepte du recycl'art, il interpelle à sa manière la communauté scientifique. Avec lui comme avec Edouard Daouda Diop ou Aladji Koné, l'œuvre naît parfois de rien : il suffit juste de savoir donner une seconde vie aux choses.

Comme Hamidou Sall Amewa, Aladji Koné fait partie de ce que l'on pourrait appeler les 'artistes écologistes'. Avec eux, c'est à coups de pinceau par exemple que l'on se livre à de rudes batailles contre les constructions anarchiques, le réchauffement climatique ou la pollution sonore. Et l'on retient surtout que 'l'homme est une espèce menacée par elle-même'.

Mais rien n'est perdu lorsqu'il souffle encore un vent d'espoir. Dans une calebasse, Karessy retient quelques larmes, symbole d'une paix future pour son peuple, celui de la Casamance. Pour Mama Macina Camara, l'espoir c'est le Nepad, 'un concept fédérateur'.

Avec Sayo Camara, il suffit de savoir aimer ce que l'on a. Sa muse, ce sont ces petites scènes toutes simples du quotidien qui donnent de la chaleur à l'Afrique. Celles-ci vont de la séance de coiffure aux longues discussions entre étudiants. La bouilloire de thé n'est jamais bien loin, elle libère son irrésistible arôme et quelque chose d'absolument convivial. Ses personnages, qui se résument à la suggestion d'une silhouette, se perdent dans des nuages de peinture. Les yeux du corps se ferment alors et ceux de l'imagination prennent le relais.

Théodora SY